vendredi 6 janvier 2012

girls




Eve Arnold est morte hier à Londres, dans une maison de retraite. Elle avait 99 ans. Première femme à rejoindre l’agence Magnum en 1951, l’Américaine fut une photographe légendaire, tout autant par la qualité de ses reportages que par sa ténacité, comme les photojournalistes de cet âge d’or, à être au cœur de ses sujets. Presque dans leur ombre. Comme lorsqu’elle immortalisa la fragilité transparente de Marilyn Monroe sur le tournage des Misfits, film culte de John Huston, dans un corps-à-corps d’une grande sensualité, sous la lumière surnaturelle du désert du Nevada.

"Je pensais qu’elle avait un don devant l’objectif, mais ce don s’est révélé être du génie", confiera-t-elle un jour, toujours ravie d’évoquer la mémoire de celle qui la fit connaître au grand public. Il n’y eut pas que Marilyn. Le cinéma, ses stars et leurs péchés mignons, de Joan Crawford à Elizabeth Taylor, constitueront l’un de ses thèmes préférés, car elle avait un goût certain pour la mise en scène.

Née le 21 avril 1912 à Philadelphie (Pennsylvanie), Eve Arnold est la fille d’immigrants russes (le père était rabbin), qui eurent neuf enfants. Elle prit ses premières photos en 1946 avec un Rolleicord offert par son petit ami, avant d’étudier, en 1948, à la New School for Social Research de New York sous la direction d’Alexei Brodovitch, tête chercheuse du Harper’s Bazaar. Son sujet d’études : Harlem. Qui lui vaut les félicitations de son professeur et un visa pour continuer… La reconnaissance viendra très vite, dès 1951, grâce au Picture Post qui la propulse tout en haut de l’affiche. Elle a de la chance, surtout du cran, et il en faut dans le monde si masculin de la photographie, où ses confrères, avec leurs Leica, occupent beaucoup de place.

Après son ancrage à l’agence Magnum, tout sourit à Eve Arnold, femme curieuse qui aborde de multiples sujets, de la maternité à la convention républicaine, de Mrs Kennedy à Margaret Thatcher, sans oublier son célèbre portrait de Malcolm X avec chapeau, de profil.

Poignant. Surtout, elle commence à voyager : Cuba, Chine, Afghanistan, et ne cesse d’enregistrer, ici et ailleurs, la condition humaine dans sa diversité. Les riches dans leurs voitures rutilantes. La reine Elizabeth d’Angleterre enveloppée d’un nuage bleu. Les top modèles. Le quotidien de ceux qui n’ont rien sur le dos. Comme ces deux gosses à Porto Rico, qu’elle isole en 1968. Un instant poignant et d’une grande douceur, fidèle à sa ligne de vue : ne jamais baisser les yeux sur la misère du monde.

Pourtant, Eve Arnold ne se sentait jamais vraiment satisfaite de ses photographies, comme elle le confia à Amanda Hopkinson dans le Guardian, ajoutant : "C’est la frustration qui m’a fait avancer". Mais elle sut donner à ses photographies tout ce que la vie lui avait appris : "J’ai été pauvre et j’ai voulu documenter la pauvreté ; j’ai perdu un enfant et j’étais obsédée par la naissance; j’étais intéressée par la politique et je voulais savoir comment nos vies en étaient affectées ; je suis une femme et je voulais tout savoir sur les femmes".

Marlène Dietrich au Columbia Records Recording Studios de New York, 1952.
Marilyn Monroe lisant "Ulysses" de James Joyce, Long Island, 1954.


Source libération.fr

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